Résultats UTMB 2019

La fatigue en trail : interactions entre le sexe et la distance de courseSynthèse des résultats de l’étude UTMB 2019

 

Préambule : L’analyse des résultats de cette étude était terminée quelques mois seulement après l’UTMB 2019. Mais pour communiquer, nous nous devions d’attendre la publication de l’ensemble des résultats dans des revues scientifiques. C’est désormais chose faite. Ainsi ce document est une synthèse vulgarisée de 6 articles validés par la communauté scientifique internationale et publiés dans les journaux suivants : Medicine & Science in Sports & ExerciseScandinavian Journal of Medicine & Science in SportsExperimental PhysiolologyThe International Journal of Sports Physiology and PerformanceEuropean Journal of Applied PhysiologyInternational Journal of Molecular Sciences.

 

Pourquoi cette étude ?

Bien que depuis une vingtaine d’années, les épreuves d’ultra-endurance en course à pied (ultra-trail en particulier) connaissent un développement exponentiel, les conséquences de cette pratique ne sont pas encore totalement comprises, en particulier chez les femmes. D’une façon générale, deux fois plus d’hommes sont recrutés dans les études scientifiques en physiologie du sport. Or s’il est un domaine où les résultats obtenus chez les hommes ne peuvent pas être directement transférés chez les femmes, c’est bien la fatigue et particulièrement en course à pied. Nos précédents travaux sur l’UTMB® visaient à comprendre les différences hommes/femmes et ont montré que la fatigue musculaire des mollets (i.e. baisse de la force évoquée par stimulation électrique) et la perte de force maximale des quadriceps étaient moindre chez les femmes comparativement aux hommes après 110 km en ultra-trail (version raccourcie de l’UTMB® en 2012). En revanche, il n'existait aucune différence de fatigue centrale (rôle du cerveau) entre les sexes. Ce résultat unique dans la littérature scientifique se devait d’être confirmé. Nous souhaitions également savoir si cela restait vrai pour des distances plus longues … et plus courtes. Par ailleurs, la question de l’influence de cette fatigue induite par différentes distances sur le coût énergétique (efficacité de la foulée) reste discutée. Le rôle de la déshydratation sur la viscosité sanguine est aussi méconnu. Afin d’évaluer les effets du sexe et de la distance sur la fatigue induite lors d’un ultra-marathon, notre approche expérimentale multiparamétrique a ainsi pris en compte la dimension plurifactorielle de la fatigue en insistant sur : (i) les différentes origines neuromusculaires possibles (ii) la dimension énergétique, (iii) les conséquences hémorhéologiques.

 

Protocole expérimental

Il s’agissait d’une étude prospective de physiopathologie sur des coureurs et coureuses participant à l’une des courses de l’UTMB 2019 (Tableau 1). Nous avons étudié un groupe d’hommes vs un groupe de femmes selon les distances (courses supérieures à 100 km comparativement aux courses inférieures à 60 km) en comparant pré-post course (chaque sujet étant son propre témoin).

Les participants à l’étude ont réalisé 3 visites :

(i) une visite #1 d’inclusion avec un médecin associé à l’étude au LIBM à Saint-Étienne. Cette visite permettait aussi de mesurer la VO2max sur tapis (course en pente) et de familiariser les participants aux appareils de mesure et méthodologies utilisés;

(ii) une visite #2 pré-course (dans la semaine qui précédait la course) durant laquelle étaient effectués différents tests : sur dynamomètre (évaluation de la fatigue en mode isométrique), avec stimulation magnétique transcrânienne et stimulation électrique de nerfs périphériques (photo 1), sur bicyclette ergométrique (évaluation de la fatigue en mode dynamique) pour déterminer la puissance et la vitesse (photo 2), sur tapis de course (coût énergétique à plat et en montée, photo 3), prélèvement sanguin (photo 4) ;

(iii) une visite #3 post-course (dans l’heure qui suit la course) : mêmes évaluations que visite #2.


Photo 1
 
Photo 2
 
Photo 3
 
Photo 4
 

Les visites #2 et #3 se déroulaient à l’Ecole Nationale de Ski et d'Alpinisme de Chamonix. Des mesures de raideur des muscles et des tendons (photo 5) et de vibrations des tissus mous pendant la course (photo 6) ont aussi été réalisées mais les résultats n’étant pas encore publiés, ils ne seront pas présentés ici. Pour la comparaison entre les sexes, les hommes et les femmes ont été matchés par niveau de performance relatif, c’est-à-dire ayant réalisé une performance similaire en pourcentage du temps des vainqueurs hommes et femmes de chaque course.

  
Photo 5
 
Photo 6

 

Principaux résultats 

L’objectif principal du 1er article (publié dans Med Sci Sports Exerc, 1er auteur : Thibault Besson) était de déterminer si le sexe des participants avait un effet sur l'ampleur de la fatigue neuromusculaire et sur la dégradation du coût énergétique. Nos résultats ont confirmé notre étude de 2012, c’est-à-dire que les femmes sont moins fatiguées à l’issue des courses de trail, comme en témoigne par exemple une diminution plus faible de la force maximale des quadriceps (Figure 1A). Contrairement à notre hypothèse selon laquelle cette moindre fatigue par rapport aux hommes serait surtout vraie pour l’ultra, ces différences existaient indépendamment de la distance. En réalité, c’était même presque l’inverse car les femmes présentaient moins de fatigue musculaire que les hommes sur le COURT et pas sur le LONG. Attention, une moindre fatigue ne signifie pas nécessairement (ou pas uniquement) une meilleure résistance à la fatigue. En effet, ce résultat pourrait être dû, au moins en partie, à des différences entre les sexes dans les intentions de compétition que l’on a questionnées après les courses :  les femmes se disaient en moyenne plus en mode plaisir et les hommes davantage en mode compétition (Figure 1B).

Bien que difficile à interpréter, nous avons aussi mis en évidence grâce à la technique de stimulation du cortex moteur cérébral par l’application d’un champ magnétique (photo 1), une différence entre les sexes au niveau des modifications de l'excitabilité du cerveau avec la fatigue : cette augmentation n’était présente que chez les hommes. Par ailleurs, même si les statistiques ne permettaient pas de conclure significativement, il semble que les différences de fatigue neuromusculaire entre les sexes aient eu un impact sur le coût énergétique puisque ce coût semblait moins se détériorer chez les femmes que ce soit à plat ou en montée (Figure 2). De nouvelles études doivent être menées pour confirmer ce résultat.

Figure 1. Fatigue totale des quadriceps (= baisse de force maximale volontaire des quadriceps, panneau A) et intentions de course (panneau B) chez les femmes (en rouge) et les hommes (en bleu). Toutes les distances ont été mélangées. Les traits gras sur le panneau A représentent la moyenne. Sur le panneau B, un chiffre plus faible correspond à une intention de compétition vs mode plaisir.

Figure 2. Détérioration du coût énergétique (= hausse de la dépense énergétique nécessaire pour parcourir un mètre) avec la fatigue chez les femmes (en rouge) et les hommes (en bleu) lors de la course sur tapis roulant à plat (panneau A) et en montée (15% de pente, panneau B). Toutes les distances ont été mélangées. Les traits gras représentent la moyenne.

 

Les 2ème et 3ème articles (publiés dans Scand J Med Sci Sports et Exp Physiol, 1er auteur : respectivement John Temesi et Loïc Espeit) se sont intéressés à l’effet de la distance de course sur la fatigue. En comparant plusieurs études, nous avions observé (Millet GY, Sports Med, 2011) que la fatigue induite par la course à pied, déterminée par la baisse de force maximale des muscles quadriceps, augmentait avec la durée de l'exercice jusqu'à ~15 heures et qu'elle n'augmentait plus par la suite (voire diminuait sur le Tor des Géants !). L'objectif de la présente étude était donc d’investiguer directement cette question en comparant des courses de trail plus courtes et des courses d'ultra-trail plus longues avec un terrain de jeu et des conditions météorologiques similaires. Nous avons confirmé l’influence de la distance de la course sur la baisse de force des quadriceps (Figure 3A) (ainsi que sur des paramètres intra-cérébraux liés à l’inhibition de la contraction musculaire ou les indices sanguins de dommages musculaires) mais de façon étonnante, la distance de course n’avait pas d’effet sur la fatigue des muscles des mollets (Figure 3B). En revanche, alors que nous avions plutôt misés sur une augmentation de la fatigue centrale (c’est-à-dire une diminution de la capacité du système nerveux à commander les muscles quadriceps), c’est l’inverse qui s’est produit : la baisse du niveau d’activation volontaire (VA sur Figure 3) était la même pour les 2 distances alors que la fatigue musculaire (Twitch sur Figure 3A) était plus marquée sur le LONG que sur le COURT (pour les quadriceps seulement).

 

Figure 3. Fatigue des quadriceps (= panneau A) et des mollets (panneau B) en fonction des distances de courses (voir Tableau 1).  Twitch : fatigue musculaire, VA : fatigue centrale.

 

Cette étude nous a aussi permis de répondre à une question plus fondamentale sur l’origine de la fatigue centrale après un effort prolongé. Schématiquement, la question que l’on se posait était la suivante : est-ce que cette dernière trouve son origine dans le cerveau ou plutôt dans la moelle épinière ? Grâce à l’utilisation de stimulations électriques sur les nerfs moteurs, nous avons pu montrer qu’une partie de la diminution de l’activation des muscles provenait bien de ce que l’on nomme les centres supra-spinaux, c’est-à-dire localisés dans le cortex moteur.

 Dans le 4ème article publié dans Int J Sports Physiol Perform dont le 1er auteur est Jérôme Koral, nous avons cherché à répondre à une question plus méthodologique mais néanmoins importante : la baisse des capacités musculaires mesurées en conditions isométriques (ergomètre quadriceps ou mollet de la photo 1) ou en conditions dynamiques (lors de sprints sur ergocycle, photo 2) donnait-elle la même information sur la fatigue des coureurs ? Grâce à ces mesures, on pouvait aussi examiner l’effet d’un trail ou d’un ultra-trail sur la capacité des coureurs à contracter leurs muscles à vitesse maximale, c’est-à-dire contre une résistance nulle. Les réponses à ces deux questions sont : (i) il existait d’assez bonnes corrélations entre les deux façons (isométrique vs dynamique) de mesurer la baisse des capacités fonctionnelles. La baisse de puissance était aussi fortement expliquée par la baisse de force mesurée lors du pédalage (Figure 4A) et pas par la vitesse ; (ii) la baisse de vitesse maximale de pédalage théorique était en effet très minime (-3%, Figure 4B) que soit après les distances trail (COURT) ou ultra-trail (LONG). Bref, vous ne perdez pas vos capacités d’explosivité après la course. En d’autres termes, si vous êtes meilleur sprinter que Xavier Thévenard avant l’UTMB, vous le resterez après : il ne vous reste plus qu’à le suivre sur 170 km pour le déposer dans la ligne droite conduisant à la place du Triangle de l'Amitié (attention quand même aux photographes si vous ne pouvez pas vous arrêter).

Figure 4. Corrélation entre baisse de puissance et baisse de force entre avant & après les épreuves de l’UTMB (panneau A) et baisse de la vitesse maximale de contraction théorique (panneau B).

 

Le 5ème article publié dans Eur J Appl Physiol (1er auteur : Frederic Sabater Pastor) s’intéressait à la modification du coût énergétique avec la fatigue en trail (COURT) et en ultra-trail (LONG), le coût énergétique étant mesuré à la fois à plat et en montée avec une pente de +15%.

Contrairement à ce que l’on pourrait imaginer, le coût énergétique n’augmentait de façon significative avec la fatigue que pour le COURT (Figure 5A). Ceci suggère que l’intensité de l’effort plus que la durée impacte le rendement du geste. Il existait d’ailleurs une corrélation significative entre la vitesse de course et la variation de coût énergétique. Lorsque l’on examinait l’effet de la pente, on observait une corrélation entre les changements de coût énergétique à plat et les changements en montée (Figure 6). Néanmoins, l’amplitude des changements était plus importante à plat, peut-être pour des raisons de moindre utilisation de l’élasticité musculaire.

Nous avons profité de la mesure des échanges gazeux pour étudier les substrats utilisés. Comme l’indique la baisse du quotient respiratoire (production de CO2 divisé par consommation d’O2, Figure 5B), le pourcentage d’énergie provenant des lipides était plus important après les épreuves. Par exemple, une baisse du quotient respiratoire de 0,86 à 0,75 reflète une augmentation de l'utilisation des graisses qui passe de 45% de l'énergie totale à 83%. Nos résultats montrent une baisse plus importante du quotient respiratoire sur le COURT, ce qui pourrait être dû à une plus grande déplétion en glycogène dans les muscles locomoteurs quand l’intensité augmente, accroissant ainsi l'utilisation des lipides comme substrat énergétique.

Figure 5. Evolution du coût énergétique (panneau A) et du quotient respiratoire (panneau B) mesuré sur le plat et en montée pour les deux distances : COURT et LONG.

 

Figure 6. Corrélation entre les modifications de coût énergétique (Cr) à plat et en montée.

Enfin, le 6ème article publié dans Int J Mol Sci (1ère auteure : Mélanie Robert) a étudié un paramètre assez peu investigué en trail running : la souffrance des globules rouges et la viscosité du sang. Les principaux résultats sont que la déformabilité des globules rouges, la viscosité du sang et le taux d'hématocrite (pourcentage de globules rouges dans le sang) ont diminué après l'UTMB® mais pas après la MCC[1]. Nos résultats indiquent que le comportement rhéologique du sang est différent entre un trail et un ultra-trail. La faible viscosité du sang observée après l'UTMB® pourrait faciliter le flux sanguin vers les muscles et optimiser les performances aérobies.

 

Et maintenant ? : les perspectives 

Comme souvent dans une démarche scientifique digne de ce nom, ces résultats devront déjà être confirmés par d’autres études. Et cela en dépit de la difficulté à recruter des femmes en raison de leur faible participation, surtout sur les distances longues. En 2009, nous avions établi la cinétique de récupération de la fonction neuromusculaire des hommes (Millet et al. PLOS One 2011). Or, quelques études permettent de penser que les femmes pourraient récupérer plus vite mais évidemment cela reste à démontrer. Par ailleurs, nos résultats préliminaires concernant l’influence du sexe sur les intentions de course doivent être renforcés en demandant à des spécialistes du domaine de la psychologie de s’associer à nos travaux.

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Auteur : Guillaume Millet (Professeur de Physiologie de l’Exercice - Directeur du Laboratoire Interuniversitaire de Biologie de la Motricité - Coordinateur de la chaire ActiFS - Membre Senior de l’Institut Universitaire de France - Principal investigateur de l’étude UTMB 2019)

Investigateurs de l’étude : Thibault Besson, John Temesi, Frederic Sabater Pastor, Jérôme Koral, Loïc Espeit, Léonard Féasson, Audrey Parent, Diana Rimaud, Jérémy Rossi, Callum Brownstein, Thomas Lapole, Vincent Martin, Nicolas Royer, Benjamin Singh, Giorgio Varesco, Marie Fanget, Lauriane Imbert, Djahid Kennouche, Clément Foschia, Mélanie Robert, Emeric Stauffer, Elie Nader, Sarah Skinner, Camille Boisson, Céline Renoux, Paul Robach, Philippe Joly, Philippe Connes, Robin Trama, Christophe Hautier, Frédérique Hintzy, Alexandre Fouré, Thomas Rupp.

Autres articles publiés ou à venir sur l’étude UTMB 

- Skinner S, Nader E, Stauffer E, Robert M, Boisson C, Cibiel A, Foschia C, Féasson L, Robach P, Millet GY, Connes P. Differential impacts of trail and ultra-trail running on cytokine profiles: an observational study. Article publié dans : Clinical Hemorheology and Microcirculation.

- Trama R, Blache Y, Hintzy F, Rossi J, Millet GY, Hautier C. Does neuromuscular fatigue generated by mountain ultra-marathons alter foot impact and soft-tissue vibrations during running? Article prochainement soumis pour expertise.

- Fouré A, Besson T, Stauffer E, Skinner S, Féasson L, Connes P, Hautier C, Millet GY. Shear wave elastography reveals sex differences in muscle-tendon passive mechanical properties and indirectly quantifies the amount of muscle tissue damage after trail running races. Article prochainement soumis pour expertise à British Journal of Sports Medicine.

- Sabater Pastor F, Besson T, Millet GY. Determining factors of trail running performance of various distances. Article en préparation.

Remerciements : l’équipe adresse ses plus chaleureux remerciements aux organisateurs de l’UTMB® (en particulier Catherine et Michel Poletti) ainsi qu’à l’Ecole Nationale de Ski et d'Alpinisme de Chamonix (en particulier Paul Robach).

 

[1] Pour des raisons techniques, seules ces deux courses étaient considérées pour cette partie de l’étude.

 

Publié le 23 juin 2021